Où va mener l’effondrement des prix de gros de l’électricité en Europe ?

Philippe Vesseron 
Ingénieur général des mines (er) 
Le 05/06/2016

L’effondrement des "prix de gros" de l’électricité va avoir de vraies conséquences : L’alerte est claire dans les dépréciations enregistrées dans les comptes 2014 et 2015 des grandes "utilités" électriques européennes. Constater chaque année des pertes de valeur de quelque 25 milliards d’euros conduirait vite à la défaillance ou à l’éclatement des plus fragiles de ces entreprises.


Où va mener l'effondrement des prix de gros de l'électricité ? Le rappel des étapes antérieures peut sans doute aider à construire des issues acceptables. Il faudra reparler des gaz de schiste aux USA à partir de 2008, des conséquences sur la compétitivité de la chimie et sur les énergies concurrentes, la nouvelle rentabilité des centrales au gaz entraînant le gel de projets nucléaires, mais aussi l'exportation de charbons à prix déprimés vers l'Europe - sans oublier l'apparition en 2016 d'exportations de GNL alors qu'en 2008 on préparait des flux inverses. Et de fait, malgré les baisses des 2 dernières années, le gaz reste en Europe et en Asie deux fois plus cher qu'aux USA.

En Europe aussi, 2008 est un vrai tournant, qui impactera durablement tout le secteur électrique dans les 28 pays de l'UE. Situation hélas actuellement trop occultée en France par les chantiers engagés sur l'électronucléaire alors que les autres urgences des systèmes électriques français et européens sont sans doute largement aussi lourdes.

En 2008, le sujet européen essentiel était la recomposition après la "libéralisation" des secteurs de l'électricité et du gaz (avec pour objectif de créer un marché intérieur unifié, pas de reproduire les privatisations de Mme Thatcher), mais deux sujets d'inquiétude s'imposent: D'une part le prix du pétrole, multiplié par 5 entre 2000 et 2008, d'autre part les risques climatiques.

Le résultat est, précisément en 2008, le "paquet énergie-climat européen" et son triple objectif de réduction des émissions de CO2, d'augmentation de l'efficacité énergétique et de croissance des énergies renouvelables. Au but de sortir de la tenaille du climat et du pétrole, on ajoutera vite l'idée d'une relance économique pour conjurer la Grande Récession déclenchée par la crise des subprimes, en investissant massivement dans l'énergie renouvelable. Pour la rendre rentable, chaque technologie (solaire, éolienne, hydrolienne...) est subventionnée sur ses "LCOE" (coûts moyens actualisés): On imagine que la hausse des hydrocarbures va se poursuivre et réduira progressivement le coût de ces subventions...

Ce beau schéma n'est pas du tout ce qui se passe après 2008: Les cours mondiaux du pétrole s'effondrent d'un facteur 3 et on pense en 2016 que la restabilisation, qui ne sera pas immédiate, restera loin des maxima antérieurs. Pourtant nous continuons à réagir en Europe comme si "les prix du pétrole allaient être croissants, forcément croissants" et accélérons au maximum la production d'électricité à partir de toutes les énergies renouvelables même si des coups de frein corrigent les bulles créées par des soutiens vraiment trop forts.

Et ce paysage n'est pas pacifié par le transfert à AREVA des activités nucléaires de Siemens ni par la "sortie du nucléaire" allemande accélérée en 2011 par Fukushima, ni par les déboires d'AREVA ou l'inflation des coûts des EPR de Finlande et de Flamanville. Et ce paysage n'est pas non plus amélioré par le fait que dans plusieurs pays la substitution du charbon au gaz limite un peu les dépenses, mais accroît les rejets de CO2, à l'exact inverse du but initial.

Dans ce monde électrique déstabilisé, la surcapacité actuelle sur le continent européen vient-elle de la récession de la demande des ménages et des entreprises depuis 2008 ou de la montée accélérée des EnR subventionnées, photovoltaïques et éoliennes à terre ou offshore ? En tout cas la confrontation de l'offre et de la demande aboutit en 2015 à un "prix de marché de gros" de l'ordre de 25 à 35 EUR/MWh, bien inférieur aux LCOE des installations nouvelles de toutes les filières, charbon, gaz, éolien, solaire, EPR...

Cette situation ne peut qu'accélérer l'inscription de "dépréciations" dans les comptes des "utilités" européennes et affecter la création ou la survie d'unités rendues déficitaires: Lesquelles seront mises sous cocon ? Arrêtées définitivement ? Quels projets seront différés ou annulés, fossiles, nucléaires, renouvelables ? Quels impacts sur l'emploi ?

Chaque choix a ses gagnants et ses perdants, sans oublier les dimensions idéologiques ! Pour que le débat soit raisonnable, il serait urgent de vérifier que nous avons la même compréhension de l'économie de chaque option, l'évaluation devant partir non des LCOE, mais des coûts "variables": C'est seulement eux qu'il faut comparer aux prix de marché pour choisir entre mise sous cocon et poursuite de l'exploitation.

De même, la surcapacité impose-t-elle de réexaminer toutes les possibilités de valoriser l'électricité disponible en la substituant à des énergies carbonées, localement ou à distance.

Tout choix a des conséquences sur les coûts et sur l'emploi ; de surcroît, on comprend la difficulté de reconnaître les erreurs de prévision des dernières années. La nouvelle donne européenne depuis 2 ans rend toutefois la démarche inévitable et interdit de prendre le risque d'attendre l'apparition de polémiques.


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